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Les souvenirs d’enfance de Renée Landry

François Bregha

Renée Landry a vécu presque toute sa vie dans la Côte-de-Sable.  A 90 ans, elle y réside encore, rue Daly. François Bregha s’est entretenu avec elle plus tôt cet été pour qu’elle lui raconte ses souvenirs d’enfance dans notre quartier.

Petite fille, Renée ramassait des coquilles de noix, y ajoutait une allumette comme mat avec un peu de cire et faisait la course avec ces «bateaux» improvisés dans les rigoles le long des trottoirs, à la fonte des neiges ou après les grosses pluies. A l’époque, si on n’avait pas de jouets, on en improvisait ou on en empruntait chez le voisin. Quand c’était le temps de rentrer à la maison, la bonne sortait sur la galerie et donnait un coup de sifflet pour appeler les enfants.

Parfois, ces jeux pouvaient être plus coquins : on se cachait derrière un banc de neige près de l’arrêt de tramway et on décrochait vite la perche du tram accroché au fil électrique avant qu’il puisse repartir, puis on se sauvait en vitesse!

Renée prenait des leçons de piano. Son instructrice aurait bien voulu qu’elle pratique à la maison mais pour ça elle aurait eu besoin d’un piano et la famille en n’avait pas les moyens. En effet, il fallait choisir entre remplacer la glacière avec un réfrigérateur ou acheter un piano. C’est le réfrigérateur qui l’a emporté.

Un jour, un garçon du voisinage lui a vendu un poussin pour cinq sous. Renée l’a appelé Figaro (son père écoutait beaucoup l’opéra à la radio). Le jardinier lui a construit une petite maison avec clôture pour qu’il soit à l’abri des chats et sa mère lui a fait une laisse en laine pour le promener. Renée l’amenait parfois magasiner avec elle, caché sous son manteau. A la fin de l’été, hélas, il n’échappa pas au sort des autres poulets car la viande était rationnée pendant la Guerre.

En vieillissant, les passe-temps ont changé. Renée aimait beaucoup le tennis et se rappelle y avoir joué à l’Église St Joseph : il y avait six cours où se trouve aujourd’hui le stationnement rue Wilbrod. L’hiver, c’était le ski, d’abord à Rockcliffe, puis au Lac des Fées et à Camp Fortune. Le soir, on lisait et on écoutait la radio. Il y avait aussi des jeux de cartes et des danses le samedi ou des «partys» chez des amis.

La Guerre avait beau se passer loin, son influence se faisait aussi sentir à la maison. Le père de Renée, un des premiers employés à Radio-Canada, était devenu censeur à la radio (un autre résident de la Côte-de-Sable, Fulgence Charpentier, était censeur de la presse et leurs deux filles étaient bonnes amies). A la maison, le soir, monsieur Landry expliquait à la famille le déroulement de la guerre à l’aide d’une carte géographique au mur.

De temps en temps, il y avait des exercices de protection civile pour préparer la population : des sirènes déclenchaient ou un voisin passait pour assurer le couvre-feu. Le matin, la radio jouait de la musique martiale.

Renée se rappelle qu’on avait besoin de timbres pour acheter de la nourriture comme du beurre, du sucre ou de la viande, au Dominion de la rue Osgoode (entre Henderson et King Edward). Mais, on pouvait échapper à certaines restrictions en achetant la viande directement auprès des fermiers du marché By. Il n’y avait aucune limite par contre pour le pain et le lait livrés à domicile dans une voiture tirée par un cheval.

Les chevaux assuraient aussi le déblayage de la neige l’hiver, on ne voyait plus le pavé avant le printemps. Il y avait donc d’énormes bancs de neige qui s’accumulaient et donnaient aux enfants des occasions de construire tunnels, glissoires et châteaux.

Mais si c’était l’insouciance qui régnait surtout chez les jeunes, tous n’avaient pas la même chance : Renée se souvient d’avoir rencontré des enfants anglais jouant au parc Strathcona, des «home children» évacués de Grande-Bretagne pour échapper aux bombardements nazis. Que devaient penser ces réfugiés si loin de chez eux?

De temps en temps, de grands personnages venaient visiter le Premier Ministre, M. King, chez lui à la Maison Laurier. Quand les enfants du quartier entendaient la nouvelle, ils se précipitaient en face, à l’église All Saints pour bien apercevoir les dignitaires: ils ont vu le Roi, la Reine, Eisenhower et Montgomery, parmi d’autres. King, évidemment, était une présence familière dans la Côte-de-Sable. On le voyait souvent promener son petit chien Pat. Renée, elle, se souvient de King tirant le rideau beige de la fenêtre arrière de sa voiture pour ne pas se faire voir.

 

Ce qui ressort de ces souvenirs, ce n’est pas seulement le bonheur d’une famille unie (six enfants) mais aussi la liberté et la sécurité dont jouissaient les enfants à l’époque. Ils avaient le droit de jouer sans surveillance, d’inventer leurs propres jeux, même de s’ennuyer à l’occasion. Oui, c’était la Dépression, c’était la Deuxième Guerre, les «grands» souffraient parfois et beaucoup surveillaient leurs dépenses mais, pour beaucoup d’enfants, la vie dans la Côte-de-Sable demeurait belle.