Le bureau civil de cryptographie, une histoire secrète disparue
Philippe Bernier Arcand
Le bureau civil de cryptographie qui était situé dans la Côte-de-Sable à Ottawa, officiellement nommé Sous-section de l’examen (Examination Unit), a été créé en 1941, en pleine Seconde Guerre mondiale, afin de décrypter les codes et messages interceptés par les Alliés. Comme tout ce qui relève du secret, ce bureau était voué à disparaître sans laisser de trace. Malheureusement, c’est aussi une partie du patrimoine de la Côte-de-Sable qui s’est effacée, notamment son patrimoine francophone.
Ce bureau était en quelque sorte l’équivalent canadien de Bletchley Park, ce centre de décryptage britannique qui a abrité les meilleurs cryptanalystes du pays, dont Alan Turing, et qui a réussi à percer les codes secrets de l’Axe, notamment ceux de la machine allemande Enigma. C’est ainsi qu’il est présenté dans l’ouvrage de référence sur le sujet Canada’s Bletchley Park: The Examination Unit in Ottawa’s Sandy Hill, 1941-1945 (Historical Society of Ottawa, 2023, non traduit), de Diana Pepall, qui le décrit comme le pendant canadien du célèbre centre britannique.
Pendant une grande partie de la Seconde Guerre mondiale, la Sous-section de l’examen menait secrètement ses opérations depuis une maison victorienne de la Côte-de-Sable, située au 345, avenue Laurier Est. Cette propriété jouxtait la Maison-Laurier, alors résidence du premier ministre William Lyon Mackenzie King. Toutefois, les renseignements décryptés par Sous-section de l’examen devaient être transmis au ministère des Affaires extérieures, avant d’être acheminés jusqu’à William Lyon Mackenzie King.
Ce bureau décodait des messages de l’Axe en allemand, mais surtout en japonais de même qu’en français, notamment pour déchiffrer les messages interceptés de la France de Vichy et de la France libre. D’ailleurs, la délégation de la France combattante à Ottawa, en lien avec la France libre, se trouvait également dans la Côte-de-Sable, au 448, rue Daly, où flottait le drapeau français frappé de la croix de Lorraine.
De ces événements marquants de la Seconde Guerre mondiale, il ne reste aujourd’hui que peu de traces sur le plan du patrimoine bâti. La maison victorienne du 345, avenue Laurier Est, construite en 1903 par le magnat du bois John C. Edwards, fut d’abord occupée par sa fille Edith et son mari Edward Robert Bremner. Elle fut ensuite acquise par Louis Baker, président de Baker Brothers Iron and Metal— une entreprise spécialisée dans le recyclage de la ferraille située aux Plaines LeBreton — qui la loua dès 1942 au gouvernement canadien pour héberger la ous-section de l’examen. La maison a toutefois été démolie en 1967 pour faire place à une tour d’appartements d’une dizaine d’étages, encore présente aujourd’hui.
Quant à la maison du 448, rue Daly, elle a notamment été habitée par Paul Martin père, ministre sous William Lyon Mackenzie King, Louis St-Laurent, Lester B. Pearson et Pierre Elliott Trudeau, avant de devenir sénateur, puis Haut-commissaire du Canada à Londres. Il y a vécu avec sa famille, dont son fils Paul Martin, qui deviendra le 21e premier ministre du Canada (2003-2006).
Cette résidence fut par la suite le Haut-commissariat du Ceylan, aujourd’hui Sri Lanka, avant d’être détruite en 1981 lors de la construction du Centre Rideau. Il reste donc bien peu de traces concrètes de ces événements, qui revêtent pourtant une importance particulière pour le patrimoine francophone.
Il faut toutefois souligner les efforts de Diana Pepall qui, en plus de ses recherches, a entrepris des démarches pour faire reconnaître la Sous-section de l’examen comme un événement historique national. Grâce à son travail, une plaque commémorative a été installée en 2022 devant la Maison-Laurier, au 335, avenue Laurier Est, rappelant l’importance historique du premier bureau de cryptographie du Canada.

From The Historical Society of Ottawa
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