Heritage

Des artéfacts du siècle passé, près du Parc Strathcona

Betsy Mann

Un artéfact provenant de l’ancien hôpital, trouvé récemment sur la pente derrière les appartements Sandringham.

Si vous voyez un homme se promener le long de la rivière Rideau, longues pinces et sac de plastique en main, en train de ramasser des déchets, vous pourriez croire que c’est simplement un bon citoyen qui se soucie de la propreté de son milieu. Et vous n’auriez pas tort. Toutefois, une photo qui accompagne cet article est la preuve que ce monsieur est un peu archéologue à ses heures. Il trouve non seulement du détritus récent mais aussi parfois des vestiges du passé de notre quartier. Résidant de l’immeuble Sandringham, sur la rue Range près de Templeton, il veut rester anonyme, mais dernièrement il a partagé ses découvertes avec IMAGE.

« C’est en nettoyant la pente du côté est de l’édifice où je demeure que j’ai trouvé cette assiette brisée, raconte-t-il. Depuis longtemps, les gens utilisent cet endroit boisé comme dépotoir. J’y ai aussi trouvé de vieilles briques datant du siècle dernier et un morceau qui vient possiblement d’une cafetière en métal. »  Est-ce qu’il lui a faut une pelle pour déterrer ces artéfacts? Il explique que ses pinces étaient le seul outil nécessaire. « Quand il pleut fort, l’eau emporte des couches du sol argileux, dévoilant progressivement les objets jetés là au fil des ans. » Plusieurs de ces objets témoignent de l’édifice qui occupait le site en haut de la colline avant la construction du Sandringham en 1958. Il s’agit du Strathcona Isolation Hospital, l’hôpital où, depuis sa construction en 1903 jusqu’à sa désaffectation en 1953, les patients de tous âges ont été mis en quarantaine. Ils souffraient de maladies contagieuses, telles la diphtérie, la poliomyélite et la scarlatine.

Vue aérienne de l’Hôpital Strathcona en 1933. Les ailes en forme d’U ont permis à la petite patiente Paulette Latrémouille de voir sa mère à la fen tre de l’aile en face.
Image :  NAPL A4571 Item 29, historynerd.ca

Paulette Latrémouille Scace, qui a grandi dans la Basse-Ville, se souvient bien de son séjour à cet hôpital, et pas en bien. « Mon frère Gérald est revenu de l’école avec des rougeurs qu’on pensait  tre la rougeole, dit-elle, mais en réalité c’était la scarlatine. Ma mère et moi avons dû aller à l’hôpital Strathcona pendant que le reste de la famille faisait la quarantaine à la maison. J’avais 9 ou 10 ans à l’époque; j’ai manqué plusieurs semaines de ma quatrième année. Ma mère est restée plus d’un mois. » C’était en 1944 et la scarlatine était alors une maladie grave qui exigeait la quarantaine et le traitement à l’hôpital.

Paulette ne se souvient pas beaucoup du traitement qu’elle aurait reçu, si traitement il y avait à part le temps et le repos. Le peu de souvenirs qu’elle a de son séjour à l’hôpital Strathcona lui ont laissé un mauvais goût à la bouche…littéralement. Elle se rappelle encore la soupe qu’on lui a servie : « C’était du lait dilué avec de l’eau avec quelques pois moisis qui flottaient dessus. C’était horrible. » Elle se sentait très seule, ne pouvant recevoir qu’une visite de son père Raymond. À part cette seule visite dans l’hôpital, elle devait se contenter de regarder sa famille par la fen tre. Son frère Jean Latrémouille se rappelle  tre allé avec son père voir Paulette et leur mère Irène pendant leur confinement. « On ne nous permettait pas d’y entrer, dit-il. On pouvait seulement leur faire signe à travers la vitre. C’était triste. » (De quoi nous rappeler des scènes vécues à des établissements modernes 76 ans plus tard durant la pandémie actuelle.)

Pour ajouter à sa solitude, la petite Paulette était tenue à l’écart m me de sa mère, qui était également en quarantaine mais soignée au dernier étage d’une autre aile de l’édifice. Paulette raconte son seul bon souvenir de son séjour. Une gentille jeune infirmière l’a amenée à la fen tre du rez-de-chaussée d’où elle pouvait voir sa mère qui se tenait à une fen tre en haut de l’aile en face. Paulette avait d’ailleurs une question urgente à poser à sa mère. « Je ne parlais pas anglais et le personnel soignant ne parlait pas français, dit-elle en se rappelant ces moments difficiles. J’ai crié à ma mère : “Comment tu dis j’ai envie en anglais? ”. Ma mère a répondu avec les mots magiques : “Bed pan!”. » Vocabulaire essentiel pour éviter de se faire gronder par certaines infirmières moins gentilles et plus impatientes.

Quelques années après le séjour de Paulette et sa mère, à la fin des années 40 et au début des années 50, le Strathcona Isolation Hospital devient un des six hôpitaux en Ontario désignés pour le traitement des patients souffrant de la polio. En 1953, l’hôpital Civic a ouvert son nouveau pavillon est. Il accueille dans son unité d’isolement les 17 derniers patients du Strathcona, dont l’un dans un poumon d’acier. Vidé maintenant de ses patients et de sa raison d’ tre, le vieil édifice sur la rue Range ferme définitivement ses portes.

Depuis, les vaccins ont mis fin au besoin de maintenir des hôpitaux d’isolement comme le Strathcona Isolation Hospital. Le Canada a été déclaré exempt de la polio en 1994. Les cas de diphtérie sont maintenant rares au Canada, grâce à la vaccination généralisée des enfants et aux rappels pour les adultes. De nos jours, la scarlatine dont souffraient Paulette et sa mère se soigne facilement à l’aide des antibiotiques et il y a peu de cas au Canada. Du vieux Strathcona Isolation Hospital, il ne reste que des souvenirs d’enfance d’anciens patients, quelques photos et des artéfacts qui émergent tranquillement de la côte derrière le Sandringham. Avis aux archéologues en herbe : les prochaines pluies d’automne pourraient dégager d’autres trouvailles, témoins de l’évolution des soins de santé dans notre quartier.

Le Strathcona Isolation Hospital se profile contre l’horizon dans ces deux vues du Parc Strathcona. La carte postale colorisée date d’environ 1910. La photo du bas a été prise quelques années plus tard.
Photo : Jack A.W. Cullen, sur Lost Ottawa Facebook

 

Cette photo, prise probablement dans les années 40, montre que ça ne date pas d’hier que le passage à gué de la rivière RIdeau attire des garçons aventureux!